Association pour les REcherches Sous MArines en Roussillon

L'épave de Port-Vendres 1 est l'épave phare de la côte catalane aux yeux du grand public, et c'est l'une des épaves majeures pour le monde de l'archéologie. Connue depuis les années 1920, elle a été l'une des premières épaves sorties de l'eau, et demeure l'une des rares conservées.

Connue dès 1929, cette épave était située dans l'anse Gerbal, avant-port de Port-Vendres, par 5 à 6 m de profondeur. Déjà endommagée par des travaux de dragages dans l’entre-deux-guerres elle fit l'objet, en 1959, de mesures de protection initiées par la Circonscription des Antiquités de Montpellier.

Yves Chevalier a entrepris de fouiller ce gisement à partir de 1962. Durant les années 1962 et 1963, il a mis au jour le massif d'emplanture où, dans la cavité du mât, fut découverte une monnaie à l'effigie de Constantin datée de 313 - 317.

 A partir de l'hiver 1964 - 1965, la fouille du mobilier et le dégagement du bois se poursuivent avec le renfort de Claude Santamaria mais l'opération a dû être interrompue en raison de la présence, au-dessus de la partie nord de la coque, de la cale de halage d'un chantier de construction navale dont l'activité ne pouvait être suspendue.

 

Soixante-huit monnaies de bronze ont été retrouvées. La majorité appartient à la deuxième moitié du IVème siècle, les plus récentes, appartenant à la décennie 383 - 392.

Le dépôt d’une monnaie aux vertus propitiatoires, dans la cavité d'emplanture du mât, est une tradition ancienne qui perdure de nos jours. L'emploi de pièces n'ayant plus cours explique la date haute de la monnaie d'emplanture de «Port-Vendres 1 » et le hiatus entre celle-ci et l'ensemble du lot qui date le naufrage de la fin du IVème siècle ou du début de Vème siècle après J-C.

Formant la cargaison du navire des amphores hispaniques complètes de type Almagro 50 contenaient des arêtes et des écailles de poissons de l'espèce Sardina pilchardus.

 L'épave a également livré des céramiques culinaires africaines, des jetons, des dés à jouer ainsi que des hameçons, des plombs de pêche qui constituent autant de témoignages de la vie à bord du navire.


Les travaux de réaménagement du port, programmés pour 1973-1974, condamneraient très certainement l'épave à la destruction. En avril 1973 Yves Chevalier reprend la fouille de l'épave avec une équipe de Ia DRASM et de l'Institut d'archéologie méditerranéenne. C'était dès lors une fouille de sauvetage, les travaux portuaires ne pouvant être retardés au-delà de mai 1974.

Relevé d'un profil intérieur
Relevé d'un profil intérieur

Une fois la coque entièrement dégagée il a été procédé à l'étude architecturale par le relevé intégral et grandeur nature du navire : 13 coupes transversales ainsi que deux coupes longitudinales de l'ensemble de la coque ont été réalisées et trois couvertures stéréophotographiques faites durant l'étude et le démontage des différentes parties des vestiges.

Brisée en ces deux extrémités la coque est conservée sur une longueur de 13,90 m et une largeur de 7,50 m. L'axe longitudinal s'articule en trois tronçons (brion-quille-étambot) débités dans Pinus halapensis (pin d'Alep) et assemblés entre eux par un écart en trait de Jupiter.

Quarante-sept membrures assemblées au bordé au moyen de chevilles en bois assurent l'ossature transversale du navire. Une possible mixité des essences peut-être mise en évidence par l'échantillonnage prélevé : sur dix prélèvements, neuf sont déterminés Pinus halapensis et un Quercus ilex (chêne vert).

Le bordage du navire est exécuté suivant le procédé d'assemblage connu sur toutes les coques antiques. Les virures successives sont liaisonnées entre elles à franc bord par mortaises et tenons chevillés. Ici encore on retrouve majoritairement l'emploi du pin mais aussi Cupressus sempervirens (cyprès) ou Olea enropea (olivier),

Le plancher de cale est fait d'une alternance de serres et de vaigres mobiles. Deux serres centrales (carlingots) disposées de part et d'autre de l'axe central encadrent plus sûrement le massif d'emplanture lui interdisant ainsi tout déplacement latéral. Environ au tiers arrière de la structure les deux carlingots sont taillés en demi-lune sur leur face interne dessinant ainsi une cavité approfondie jusqu'au dos de la quille. Ce puisard, situé au point le plus bas de la sentine devait avoir pour fonction d'accueillir et d'assujettir une pompe de cale probablement récupérée par les plongeurs romains après le naufrage.

Ce bateau s'inscrit dans le processus de transition de la construction navale sur bordé typique de l'époque gréco-romaine (apparaît au IVème siècle avant notre ère) à la construction sur squelette médiévale. Plusieurs épaves s'inscrivent dans ce processus de transition qui se met en place à partir du Vème siècle et dure jusqu'au IXème siècle de notre ère. Cette phase de transition n’est pas linéaire chronologiquement puisque le corpus disponible montre que des épaves des Ve et VIe siècles peuvent présenter des caractères plus avancés dans le processus que des épaves des VIIe-IXe siècles. Elle n’est pas davantage linéaire géographiquement au sens où cette conception des navires se retrouve aussi bien en Méditerranée occidentale qu’en Méditerranée orientale, dès les VIe-VIIe siècles, à travers différents contextes historico-géographiques. Enfin elle n’est pas particulièrement reliée de manière préférentielle à telle ou telle famille de navires. Les caractéristiques de ce processus de transition sont:

 - un espacement des assemblages par clés chevillées dans des mortaises reliant les bordages entre eux et à la quille,

 - des clés « flottantes » à l’intérieur des mortaises et/ou non chevillées dans ces dernières,

- l’utilisation de clous tangentiels destinés à assembler les galbords à la quille,

 - la présence d’un certain nombre de couples actifs, reliés à la quille et parfois à la carlingue,

- l’apparition de liaisons entre les divers éléments constituant la membrure,

 - un massif d’emplanture reposant sur des carlingots.

L'épave in situ. Une partie de la série de membrures avec son plancher de caIe (d. A. Chéné, Institut d'études méditerranéennes, Aix-en-Provence)
L'épave in situ. Une partie de la série de membrures avec son plancher de caIe (d. A. Chéné, Institut d'études méditerranéennes, Aix-en-Provence)
Détail du vaigrage (d. A. Chéné, Institut d'études méditerranéennes, Aix-en-Provence)
Détail du vaigrage (d. A. Chéné, Institut d'études méditerranéennes, Aix-en-Provence)

L'épave in situ. Au premier plan l'évidement semi-circulaire aménagé entre deux serres pour accueillir le corps de pompe de cale (cl. A. Chéné, Institut d'études méditerranéennes, Aix-en-Provence)
L'épave in situ. Au premier plan l'évidement semi-circulaire aménagé entre deux serres pour accueillir le corps de pompe de cale (cl. A. Chéné, Institut d'études méditerranéennes, Aix-en-Provence)

Après démontage pièce par pièce et récupération en surface ces vestiges ont ensuite été transportés à la DRASM à Marseille. Ils y ont été traités selon la « méthode Bouis ». Le traitement chimique mis au point par Jean Bouis, ingénieur à la DRASM (Direction des Recherches Archéologiques Sous-Marines), consiste à immerger le bois dans une préparation de bichromate de sodium et d'anhydrine chromatique qui précipitent à l'intérieur des fibres ligneuses puis dans un bain d'huile de lin qui polymérise au contact des sels de chrome et forme un revêtement protecteur.

 Il s'agissait là d'une des toutes premières tentatives (avec celle de l'épave Marsala en Sicile – IIIème siècle avant: J-C) de traitement d'une coque de navire antique.

La sortie de la quille de l'épave en 1974 (Cl. L'indépendant)
La sortie de la quille de l'épave en 1974 (Cl. L'indépendant)
Maquette de restitution par J-M. Gassend
Maquette de restitution par J-M. Gassend

Un calcul des paramètres monographiques a été tenté : il permet de restituer la fiche technique de la carène du bateau. II s'agit d'un navire de charge dont le port en lourd (cargaison) peut être estimé à 68 tonneaux.

 L'épave « Port-Vendres 1 », avec ses amphores destinées au transport de produits dérivés de la pêche (conserves de poissons et garum), illustre le commerce des salsamenta d'Espagne à une époque où se marque le déclin de la prospérité connue par la Bétique au Haut-Empire.

 

Pour son dernier voyage, ce bateau a quitté le port entrepôt de Cadix ou celui de Séville avec une cargaison d'amphores et de mobiliers de provenance lusitanienne (Portugal), de Bétique (région de Séville) et d'Afrique du Nord. Les produits transportés sont l'huile et surtout du poisson entier en saumure. (Une étude de master est en cours à l'Université de Montpellier.

 Il naviguait à destination d'un autre grand port entrepôt, probablement Narbonne, à partir duquel les marchandises devaient être redistribuées dans les petites villes de la côte et dans l'arrière-pays au moins jusqu'à Toulouse.

 Le navire a probablement sombré en tentant de s'abriter dans la rade de Port-Vendres qui constituait un formidable abri naturel pour des navires en provenance du sud, devant affronter la tramontane, après avoir franchi le Cap Creus et peut-être avoir subi des avaries au franchissement de Creus et surtout du Cap Béar.

 


L'extraordinaire histoire de l'épave romaine Port-Vendres-1


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Présentation de l'opération de remontage de l'épave de Port-Vendres 1 engagée en 2014 par le Parc marin du Golfe du Lion
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Bibliographie succincte sur Port-Vendres 1 :

1968 Y. CHEVALIER « La cavité d’emplanture avec monnaie de l’épave de l’Anse Gerbal à Port-Vendres (sondage 1963) » Revue Archéologique de narbonnaise, 1, 968, p.263-267
1973 Y. CHEVALIER, Cl. SANTAMARIA « L’étude de l’Anse Gerbal à Port-Vendres (P.-O.). Extrait de la revue d’Etudes Ligures, janvier-septembre 1971, n° 1-3.
1975 J.M. GASSEND « Le navire antique du Lacydon », Musée d'Histoire de Marseille, 1975
1975 B. LIOU « L’épave romaine de l’anse Gerbal à Port-Vendres », Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, comptes rendus des séances de l'année 1974.
1983 D. COLLS, C DESCAMPSv « Epaves antiques de la côte Vermeille », Servir, 14eme édition, revue des Sapeurs-Pompiers des P.-O., 1983, p. 107-119.
1988 R ROMAN « Navire de Port-Vendres 1, Vème siècle après J-C. projet de reconstitution pour le musée de Port - Vendres » Centre National de la Recherche Scientifique.
2006 G. CASTELLVI /ARESMAR « Port-Vendres dans l’Antiquité : mouillage en Gaulle et Hispanie », L'Albera, Terre de passage, de mémoires et d'identités, Presses universitaires de Perpignan, 2006, p. 37-47.
2007 M.-P. JÉZÉGOU, J. KOTARBA, G. CASTELLVI, FI. MAZIÈRE et al.
« Port-Vendres 1 » pré-inventaire archéologique, Carte Archéologique de la Gaulle, 66, Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 2006, p. 626-628.
2008 M.-P. JÉZÉGOU
« Richesse exceptionnelle des collections du musée de Port-Vendres ». Note pour la revue Sud-Est.
2009 G. CASTELLVI/ARESMAR
« Portus Veneris / Port-Vendres : miroir du commerce méditerranéen durant l’Empire romain »